Situation canadienne
Dans les communautés à l’échelle nationale, l’incapacité de répondre aux besoins spécifiques des jeunes sans abri dont les besoins en santé mentale sont complexes et l’absence de services appropriés, offerts en temps opportun provoquent une situation de crise chez les jeunes sans abri, leurs familles, les organismes communautaires et les structures qui tentent de leur venir en aide.
Bien qu’il soit difficile de savoir exactement le nombre de jeunes (de 16 à 24 ans) au Canada aux prises avec l’itinérance, rapports et littérature estiment qu’il existe « au moins 35 000 jeunes qui sont sans abri durant l’année, et peut-être 6 000 chaque nuit »[1] [2] De plus en plus, ils vivent dans la rue ou dans des refuges, en proie également à des problèmes de santé mentale, allant de l’anxiété, de traumatismes et de la dépression à des maladies graves et complexes incluant la schizophrénie, les troubles bipolaires ou troubles concomitants.
Les résultats sont dévastateurs car au Canada, les jeunes les plus marginalisés continuent de passer entre les mailles du filet des systèmes de santé et de santé mentale. Au cours de notre travail avec les jeunes sans abri, nous avons été témoins des nombreux obstacles que ces jeunes doivent affronter en tentant d’avoir accès au système de soutien en santé mentale. Dans de nombreux cas, les jeunes ne sont pas admissibles aux services et généralement, les systèmes de santé mentale pour enfants et adultes ne leur offrent pas des services adéquats – pas plus que ceux développés pour les adultes sans abri ayant des besoins en santé mentale complexes.
Ces dernières années, nous avons observé une hausse sensible de jeunes qui connaissent itinérance et isolation au sein de leurs communautés et qui sont également aux prises avec des problèmes de santé mentale complexes. Compte tenu des réalités liées à l’itinérance chez les jeunes, et du fait que s’avèrent les principaux déterminants de la santé mentale, l’inclusion sociale, une vie sans discrimination et violence et l’accès aux ressources économiques, telles que logement et emploi, etc., cela ne devrait surprendre personne.
Ce que nous savons
Étant donné que les problèmes de santé mentale se répercutent sur la vie des jeunes que nous voyons, la Communauté nationale d’apprentissage sur les jeunes sans abri a mis tout en uvre pour mieux comprendre la taille et l’étendue du problème tout comme les obstacles aux services auxquels sont confrontés ces jeunes. Au cours des trois dernières années, nous avons effectué une évaluation des besoins de nos organismes œuvrant auprès des jeunes et nous avons découvert que bien au-delà de 50 % des jeunes sans abri et à risque de le devenir dont nous nous occupons présentent des problèmes de santé mentale d’une forme ou d’une autre.
Méthodologie
Le jeudi 27 février 2014, des membres de la Communauté d’apprentissage répartis dans tout le Canada ont procédé à notre évaluation des besoins en santé mentale des jeunes qui ont eu accès à nos programmes ce jour-là (14 organismes dans 12 communautés canadiennes bénéficiant de 36 programmes). Chaque organisme s’est livré à l’évaluation des besoins selon ses connaissances respectives et les antécédents des jeunes qui ont profité de son programme ce jour-là. À partir des renseignements disponibles (examen de dossiers, autoévaluation, observation, etc.), le personnel du programme était en mesure de déterminer la prévalence des problèmes en santé mentale que les jeunes manifestaient lors de cette journée. L’ajout de questions spécifiques sur la toxicomanie et les troubles concomitants constituait une première.
Résultats
En 2014, nous avons évalué 1 054 jeunes sans abri. Sur ce nombre :
- 56 % ont des problèmes de santé mentale
- 50% ont des problèmes de toxicomanie
- 35% présentent des troubles concomitants
Obstacles au logement
Les jeunes ont de la difficulté à se loger adéquatement en raison de problèmes de santé mentale et de toxicomanie, et de troubles concomitants.
Soutien supplémentaire
Un très grand nombre de jeunes dont nous nous occupons ont besoin d’un soutien en santé mentale bien au-delà de ce que nous pouvons leur offrir.
Obstacles au soutien
Une grande majorité de jeunes qui ont besoin d’un soutien supplémentaire ne peuvent l’obtenir en raison de plusieurs facteurs (la plupart étant rattachés à leur itinérance). Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les jeunes sans abri ne peuvent avoir accès aux services de soutien nécessaires pour leurs problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. On a demandé au personnel chargé d’effectuer l’évaluation des besoins de dresser une liste des obstacles auxquels sont confrontés les jeunes sans abri pour avoir accès aux services.
Les principaux obstacles sont les suivants :
1)Absenced’un diagnostic formel : sans un tel diagnostic, les jeunes ne peuvent avoir accès aux services.
2) Programmes inadéquats : les programmes actuels n’ont pas toujours su comment apporter du soutien aux personnes semblables à certains jeunes dont nous nous occupons. Cette situation est souvent due à l’instabilité de logement qui empêche d’assurer un suivi, à l’absence d’un réseau de soutien positif et à l’absence de défense des droits.
3) Longues listes d’attente : les listes d’attente pour les services en santé mentale sont souvent trop longues pour des jeunes qui vivent une crise durant laquelle ils ont besoin de services. Les jeunes peuvent également bénéficier des coordonnées d’une ressource et lorsque finalement on les contacte, bien souvent il est impossible de les joindre.
Réponse actuelle
Les services disponibles sont souvent intégrés au sein d’établissements (hôpitaux, cliniques, etc.) où, nous le savons, les jeunes s’y rendront rarement, et trop peu sont implantés dans la communauté, et que les jeunes fréquentent déjà. Les services communautaires ont l’avantage d’avoir déjà établi des relations avec les jeunes et se prêtent mieux à la rencontre de professionnels en santé mentale dans ce « milieu sécurisant ». Trop peu de jeunes sont capables ou désireuxde s’engager dans les structures actuelles créées pour intervenir en situation de crise en santé mentale. En substance, ce système est déficient pour des centaines de jeunes.
En ne traitant pas ces problèmes en santé mentale, les jeunes se retrouvent souvent en zone neutre par rapport aux services et au soutien. Isolés et ordinairement dépourvus d’aptitudes sociales et à la vie quotidienne parce qu’ils ont vécu hors de leur foyer et sur la rue, ils sont trop jeunes pour faire partie du système pour adultes lorsqu’ils cherchent du soutien en santé mentale – et ont passé l’âge d’avoir accès aux services pour enfants et adolescents. Ils font face à la maladie mentale sans parents pour défendre leurs droits s’ils étaient restés à la maison, et en plus ils vivent avec le stigmate de l’itinérance.
Tout un dilemme – compte tenu de leur situation d’itinérance, il leur est plus difficile d’aller à l’école, de garder un emploi ou de suivre un traitement en vue d’un rétablissement; et le fait qu’ils présentent des problèmes de santé mentale signifie que sur le plan statistique, ils sont susceptibles d’être sans abri plus longtemps.
Un changement s’impose — Le statu quo n’apporte rien aux jeunes sans abri
Même si nous sommes conscients de la complexité des interventions sociales déployées au sein du système de santé, qui se doit de répondre à des normes rigoureuses pour de meilleures pratiques médicales, nous croyons que d’autres mesures s’imposent pour apporter du soutien aux jeunes sans abri. Il faut développer des partenariats entre les organismes en santé mentale et ceux qui s’occupent des jeunes sans abri.
1. Rencontrer les jeunes dans leur milieu — Partenariats entre les organismes pour les jeunes et les fournisseurs de services en santé mentale
Les jeunes sans abri ont tendance à se méfier des grandes institutions comme les hôpitaux. Des recherches récentes et des preuves anecdotiques voient d’un bon œil l’intervention des travailleurs en santé mentale auprès des jeunes dans leur milieu, offrant ainsi leurs services au lieu de les obliger à venir à eux. Les travailleurs en santé mentale doivent d’abord rencontrer les jeunes sans abri en dehors du contexte hospitalier/clinique, mais plutôt dans un milieu qui leur sont familier, par exemple dans un refuge pour jeunes, des haltes-accueil ou des endroits neutres dotés d’un personnel de soutien. Dès que des liens se sont tissés, les jeunes peuvent se rendre à l’hôpital/ à la clinique s’ils se sentent à l’aise de le faire.
2. Développer des programmes d’intervention pour s’occuper des jeunes sans abri
En partenariat avec les organismes pour les jeunes et les fournisseurs de services en santé mentale, nous avons besoin de programmes axés sur les besoins spécifiques des jeunes sans abri. De nombreux fournisseurs de services en santé mentale ont établi des programmes à l’intention de groupes culturels particuliers. À la lumière de leur succès, il est nécessaire de développer et de piloter des programmes visant à établir des pratiques exemplaires/prometteuses pour intervenir auprès des jeunes sans abri.
3. Transfert des connaissances issues de pratiques émergentes et prometteuses
Il existe des communautés qui développent des programmes pour répondre aux besoins spécifiques des jeunes sans abri. Nous devons développer un processus de compréhension et de diffusion des pratiques prometteuses. La Communauté nationale d’apprentissage sur les jeunes sans abri est la seule en mesure de faciliter ce dialogue national entre les organismes et les fournisseurs de services en santé mentale.
La Communauté nationale d’apprentissage sur les jeunes sans abri
La Communauté nationale d’apprentissage sur les jeunes sans abri est un réseau pancanadien d’organismes de premier plan œuvrant auprès des jeunes à l’échelle du pays; leur collaboration permet d’aborder les principaux problèmes liés à l’itinérance, d’échanger sur les pratiques prometteuses, de développer des stratégies et des outils visant à renforcer notre secteur afin de mieux prévenir, réduire et mettre fin à l’itinérance chez les jeunes au Canada. Mis sur pied en 2006 dans le cadre du Programme d’initiatives nationales d’Eva’s Initiatives (Toronto), ce réseau pancanadien s’avère le seul du genre destiné aux jeunes sans abri. Collectivement, nous offrons des services et du soutien à plus de 15 000 jeunes par année.
Pour tous renseignements, veuillez contacter :
Melanie Redman
Directrice, Initiatives nationales
Eva’s Initiatives pour les jeunes sans abri
mredman@evas.ca
[1] Gaetz, S, Coming of Age: Reimagining the Response to Youth Homelessness in Canada. Toronto: The Canadian Homelessness Research Network Press, 2014, page 7.
[2]Dr Gaetz poursuit en expliquant «[qu’] il est important de noter que cela n’inclut pas les jeunes qui ne font pas partie du système de refuges, sont totalement sans abri et passent la nuit à la belle étoile ou dans d’autres lieux impropres à l’habitation, ou ceux qui demeurent temporairement avec des amis et n’ont aucun endroit où rester (dorment chez l’un et chez l’autre). »