Document d’information sur les jeunes sans abri et la santé mentale

Posted on Posted in 2013 Mental Health, Mental Health Work

Document d’information sur les jeunes sans abri et la santé mentale

Une Crise Invisible

L’itinérance chez les jeunes au Canada existe depuis des décennies; toutefois, ces dernières années, on a noté un accroissement important du nombre de jeunes aux prises avec des problèmes complexes de santé mentale qui sont également confrontés à l’isolement et l’itinérance.

Dans les communautés réparties dans tout le pays, le fait de ne pas répondre aux besoins spécifiques des jeunes sans abri dont les besoins en santé mentale sont complexes, et la pénurie de services appropriés en temps opportun donnent lieu à une crise au sein des jeunes sans abri, de leurs familles et des organismes communautaires qui cherchent à leur venir en aide. Les résultats sont désastreux car les jeunes canadiens les plus marginalisés passent à travers les mailles du filet. Ils sont souvent inadmissibles aux systèmes de santé mentale destinés aux enfants et aux adultes ou mal desservis par ceux-ci, ou encore les services développés pour répondre aux besoins des adultes ayant des problèmes complexes de santé mentale ne leur conviennent pas.

Contexte

On estime à 65 000[1] le nombre de jeunes canadiens âgés entre 16 et 24 qui sont sans abri ou susceptibles de le devenir, et doivent de plus en plus vivre dans la rue ou dans des refuges, tout en étant aux prises avec des problèmes de santé mentale, allant de l’anxiété, des traumatismes, de la dépression à des maladies graves et complexes, notamment la schizophrénie, des troubles bipolaires ou concomitants. La situation est désolante. Si l’on tient compte de l’itinérance chez les jeunes, et des déterminants les plus importants en santé mentale que sont l’inclusion sociale, l’absence de discrimination et de violence, et l’accès à des ressources économiques[2] – cette situation ne surprend guère.

Selon des recherches, jusqu’à 50 % de l’ensemble de la population itinérante au Canada est aux prises avec des problèmes de santé mentale[3] – mais chez les jeunes, le nombre est pire encore.

  • Environ 40 % de jeunes qui sont sans abri se disent atteints de problèmes de santé mentale, un pourcentage qui semble augmenter selon le temps passé dans la rue – s’élevant à près de 70 % après plus de quatre années d’itinérance. Parmi eux, plus de la moitié ne peut avoir accès aux services de santé mentale dont ils ont besoin[4].
  • Un récent sondage « ponctuel » sur des organismes intervenant auprès des jeunes a révélé que 54 % des jeunes sans abri dont ils s’occupent éprouvent divers problèmes de santé mentale, et 79 % d’entre eux ne sont pas en mesure d’avoir accès aux services de santé mentale nécessaires[5].
  • Le taux de jeunes sans abri au Canada aux prises avec des problèmes de santé mentale est de 2,5 à 5 fois plus élevé que la moyenne nationale de jeunes qui sont logés[6].
  • Au Canada, le suicide est la deuxième cause de mortalité des personnes âgées entre 15 et 24 ans, ce qui représente 24 % de tous les décès dans cette tranche d’âges[7]. Chez les jeunes sans abri, le suicide, une surdose et des blessures involontaires s’avèrent les causes dominantes de mortalité[8]. Dans un sondage mené auprès de 208 jeunes sans abri, 46 % avaient tenté de se suicider à un moment donné. Cette même étude révèle que le stigmate social associé à l’itinérance découle d’une faible estime de soi, de la solitude et d’idées suicidaires[9].

Les jeunes sans abri ayant des besoins complexes en santé mentale se retrouvent souvent dans un no man’s land en matière de services et de soutien. Isolés et généralement dépourvus d’aptitudes à la vie quotidienne et sociale en raison du temps passé en dehors de la famille et sur la rue, ils sont trop jeunes pour s’insérer dans le système des adultes lorsqu’ils cherchent du soutien en santé mentale – et trop âgés pour pouvoir avoir accès aux services réservés aux enfants et aux jeunes. Ils font face à la maladie mentale sans la revendication possible de leurs droits par leurs parents s’ils vivaient encore à la maison, en plus d’être stigmatisés comme sans abri.

Une double impasse – puisqu’ils sont sans abri, il leur est plus difficile d’aller à l’école, de conserver un emploi, ou de recevoir le traitement qui leur assurera un rétablissement; et compte tenu de leurs problèmes en santé mentale, ils sont susceptibles, selon les statistiques, d’être des sans abri pour longtemps[10].

Un Problème avec des Solutions

1. Les jeunes sans abri ont des besoins distincts en santé mentale qu’il faut reconnaître afin d’y répondre adéquatement.

Comme première étape, il faut reconnaître que les jeunes sans abri éprouvant des besoins complexes en santé mentale ont des besoins distincts qui justifient une attention immédiate et adéquate. Des stratégies et des politiques nationales doivent refléter et reconnaître ces besoins. À un niveau local, les intervenants en santé mentale, les organismes communautaires et autres établissements qui interviennent auprès des jeunes doivent collaborer afin d’assurer la prestation de services adéquats et au bon moment.

  • On a développé de nombreux partenariats novateurs et efficaces partout au pays où des équipes hospitalières, des psychiatres et des membres de services communautaires en santé mentale travaillent en partenariat avec les refuges et les haltes-accueil, offrant le niveau de soutien dont les jeunes sans abri ont besoin – dans des milieux qu’ils leur conviennent. Il en faudrait beaucoup plus.

2. Une planification plus efficace signifie que les jeunes sans abri recevront le soutien qui leur permettra de recouvrer la santé et sans avoir recours à des services d’urgence onéreux.

Les établissements qui s’occupent de jeunes sans abri s’avèrent des lieux très propices à des stratégies préventives. Lorsque les jeunes quittent les milieux de la protection de l’enfance, les hôpitaux, et les établissements correctionnels, la planification d’un congé doit inclure une évaluation de leurs besoins en santé mentale, et l‘assurance de soins de santé dont ils ont besoin. Une planification efficace du congé ou de la remise en liberté de ces établissements permettra aux jeunes de demeurer moins longtemps dans le cycle des refuges, hôpitaux et autres établissements onéreux.

  •  « Les refuges d’urgence et les refuges permanents coûtent dix fois plus que des logements assortis de services. Nous gaspillons de façon éhontée nos maigres ressources.»[11] Les services d’urgence comme les hôpitaux et les refuges sont plus chers que d’autres solutions de logements avec services de soutien. L’impératif économique pour de telles stratégies est incontestable.

3. Les stratégies suivantes sont cruciales pour s’attaquer au nombre croissant de jeunes sans abri ayant des besoins complexes en santé mentale, aux niveaux local et national :

Prévention et intervention précoce

  • On peut prévenir l’itinérance grâce à  des interventions précoces qui n’obligent pas les jeunes à vivre l’itinérance, et leur permettent d’obtenir des traitements plus tôt.

Âge approprié pour un continuum de mesures de soutien

  • Il est nécessaire d’adopter une approche globale pour tenir compte des étapes de développement des jeunes, de la réalité de l’usage fréquent de drogues, et d’un mauvais diagnostic ou de l’absence de ce dernier. Les services de soutien doivent être disponibles et accessibles – de longs temps d’attente et des milieux peu familiers constituent de sérieux obstacles pour les jeunes sans abri.

Logement

  • « La question du logement est un enjeu de santé et des conditions de vie déplorables ont un effet dévastateur sur la capacité des personnes ayant une maladie mentale de se rétablir.»[12] Se loger constitue un facteur social déterminant de santé, et est essentiel pour se rétablir et devenir stable. Les jeunes ont besoin d’un choix de logements – selon leur étape de développement et la complexité de leurs besoins en santé mentale. Quel que soit le modèle de logement, les jeunes obtiendront plus de succès en vivant de façon autonome dans des modèles intégrant du soutien intensif. Un investissement renouvelé dans le logement signifie que les services d’urgence et les hôpitaux ne constituent pas des types de logement par défaut au Canada.

Action immédiate

Les jeunes sans abri, leurs familles, et les organismes communautaires qui les soutiennent ne doivent pas supporter seuls le stigmate et le fardeau de la maladie mentale.
1. Il faut considérer et reconnaître sur le plan national, les besoins spécifiques des jeunes sans abri aux prises avec des problèmes de santé mentale, grâce à :
  • Une collaboration efficace avec les intervenants en psychiatrie et en santé mentale;
  • Des initiatives en matière de politiques et de recherche;
  • Au niveau fédéral, l’inclusion de jeunes sans abri ayant des problèmes de santé mentale doit faire partie officiellement du programme national :

2. L’attribution d’aide financière qui reflète ces besoins spécifiques.

  • Les jeunes sans abri doivent être inclus dans le mandat de la Commission de la santé mentale du Canada.
3. Les gouvernements provinciaux, territoriaux et les municipalités régionales doivent s’attaquer  à cette crise dévastatrice et coûteuse à l’aide de politiques et de stratégies interministérielles qui :
  • Intègrent des interventions efficaces en matière de santé, protection de l’enfance, logement et mesures correctionnelles;
  • Encouragent et facilitent le développement et la mise sur pied de modèles novateurs en matière de services de soutien;
  • Mettent fin à l’option « se rabattre sur l’itinérance » lorsque les jeunes quittent les centres de protection de l’enfance, les hôpitaux et les établissements correctionnels.

[1] Chez Toit, L’itinérance chez les jeunes au Canada En route vers des solutions, 2009

[2] Helen Kelleher et Rebecca Armstrong, “Evidence based mental health promotion resource,” Melbourne, Dept. of Human Services, 2006 – as in Canadian Mental Health Association, Ontario “Workplace Mental Health Promotion – A How to Guide”

[3] Research Alliance for Canadian Homelessness, Housing, and Health. “Housing vulnerability and health: Canada’s hidden emergency” Homeless Hub Report #2, 2010; Kirby, M. J. L., & Keon, W. J; “Out of the shadows at last: Highlights and recommendations of the final report on mental health, mental illness and addiction”, Ottawa, 2006

[4] Yonge Street Mission, Changing Patterns of Street  Involved Youth, décembre 2009

[5] Le National Learning Community on Youth Homelessness, Snapshot on Mental Health, mars 2012

[6] L’Association canadienne pour la santé mentale signale que de 10 à 20 % d’adolescents au Canada sont atteints de troubles mentaux. Le 29 février 2012, le sondage du Learning Community révèle que 54 % des jeunes participants ont des problèmes de santé mentale.

[7] Association canadienne pour la santé mentale, La Santé mentale pour tous, avril 2012

[8] Roy, E., Haley, N., Leclerc, P., Sochanski, B., Bourdreau, J. & Boivin, J. “Mortality in a cohort of street youth in Montreal”. Journal of the American Medical Association, 292(5), 2004, p. 569-574.

[9]  Kidd, S. A. Youth homelessness and social stigma. Journal of Youth Adolescence 36, 2007, p. 291-299.

[10] Yonge Street Mission, Changing Patterns of Street Involved Youth, décembre 2009

[11] Commission de la santé mentale du Canada, Le logement : la clé du rétablissement, 2011

[12] Mental Health Commission of Canada, Turning the Key, 2011